Philibert Aspairt, mythe et réalité

Extrait d'un tract édité le 3 décembre 1993 à l'occasion du bicentenaire de la disparition de Philibert Aspairt ci-devant portier du Val-de-Grâce.

 

Le 13 Brumaire de l'an deuxième de la République une et indivisible, un homme se glissa furtivement dans les souterrains du Val-de-Grâce (V.D.G.). Recherchait-il quelque trésor légendaire ou tout simplement espérait-il accéder par les carrières aux caves à vin du couvent des Chartreux. II existe de nombreuses versions des faits. Mais aucun élément tangible ne permet d'accréditer l'une ou l'autre des thèses. Le portier du V.D.G. disparut dans l'indifférence générale. Il est vrai qu'à cette époque les esprits étaient préoccupés par des événements d'une plus grande importance... En 1804, au cours de relevés topographiques, des membres de l'Inspection Des Carrières (I.D.C.) découvrirent un squelette décharné. Grâce à son trousseau de clefs, il fut identifié comme étant Philibert Aspairt ci-devant portier du Val-de-Grâce, et fut inhumé sur place. Plus de deux siècles se sont écoulés ; le souvenir de la plus célèbre victime des carrières souterraines est toujours présent dans nos mémoires, et à travers elle le souvenir d'une année particulièrement sanglante de l'histoire de notre pays. En 1793, l'Inspection était jeune, le V.D.G. était transformé en hôpital militaire, les armées étrangères foulaient le sol français tandis que des régions entières se révoltaient contre le pouvoir centralisé. Aujourd'hui "Le Tunnel" ranime pour vous le souvenir...


1789-1793 d'un régime à l'autre

En 1788 le menu peuple de France est écrasé sous le poids des impôts dont sont exempts Clergé et Noblesse. De plus, cette année-là, les récoltes ont été si mauvaises que le spectre de la famine échauffe les esprits. A Versailles, la cour du bon Roi Louis XVI, toujours plus dispendieuse exaspère les Français. Depuis le traité de libre échange avec l'Angleterre, la crise économique touche l'ensemble de la nation et les caisses sont vides. Pour sortir de cette situation désespérée, les Etats Généraux sont convoqués le 5 mai de l'année suivante. Le jour venu, les députés du Clergé, de la Noblesse et du Tiers Etat se rassemblent à Versailles. Le Tiers Etat spolié par les deux autres ordres mène les débats et se déclare Assemblée Nationale. Bientôt rejointe par le bas Clergé et la Noblesse libérale, l'Assemblée impose au Roi le ralliement du reste du Clergé et de la Noblesse. C'est chose faite le 27 juin. Quelques jours plus tard, l'Assemblée se déclare "Assemblée Nationale Constituante", marquant ainsi la fin de l'absolutisme monarchique. Conscient d'avoir accordé des trop larges concessions, Louis XVI rappelle des frontières du royaume des régiments afin de rétablir l'ordre des choses. A cette nouvelle, le 14 juillet, le peuple parisien s'arme et s'empare de la Bastille pour faire main basse sur les réserves de poudre entreposées là. Cette première révolution déclenche le départ de nombreux nobles à l'étranger. Le 4 août, les privilèges sont abolis, puis l'Assemblée Constituante décide quels seront les principes sur lesquels se basera le nouvel ordre politique. Ainsi la Déclaration des Droits de l'Homme est votée le 26 août 1789. Le 5 octobre, à la suite d'un mécontentement à propos du prix du pain, les Parisiens partent à Versailles se saisissent de la famille royale et la ramènent aux Tuileries où elle peut être plus facilement surveillée. L'Assemblée vote alors la nationalisation des biens du clergé. Les prêtres doivent prêter serment à la constitution. Un schisme apparaît alors entre prêtres "jureurs" et prêtres réfractaires resté fidèles au Pape. En effet, la constitution civile du clergé a été rejetée par le Souverain Pontife au printemps 1790. Le Roi prend peur et avec sa famille, tente de quitter la France. Reconnu et intercepté à Varennes, il est ramené à Paris le 22 juin 1791, sous bonne escorte. Louis XVI a désavoué la Révolution ; le club des Cordeliers demande sa destitution tandis que les Jacobins — appelés plus tard Girondins — y renoncent. L'aile droite des Jacobins menée par Lafayette se retire alors de la vie politique. Marat par son journal "L'Ami du Peuple" n'a pas de mots assez durs pour qualifier la trahison de Louis XVI. En octobre 1791 la constitution est enfin rédigée. Après la dissolution de l'Assemblée Nationale, l'Assemblée Législative est élue au suffrage censitaire. Le Roi conserve le pouvoir exécutif ; la monarchie constitutionnelle est née. En avril 1792, sur l'avis de la Législative, Louis XVI déclare la guerre à l'Autriche. Immédiatement la Prusse entre en guerre contre la France. Partout les offensives françaises sont stoppées si bien que le 11 juillet 1792 l'Assemblée Législative déclare la "Patrie en danger". Alors des volontaires s'enrolent en masse. Ainsi cinq cents Marseillais arrivent à Paris en chantant le "Chant de guerre pour l'Armée du Rhin" composé par un certain Rouget de l'Isle. Tandis que Jacobins et Cordeliers demandent la destitution du Roi, dans la nuit du 9 au 10 août 1792 les délégués des sections parisiennes se rassemblent à l'Hôtel de Ville pour créer la Commune Insurrectionnelle. Au matin du 10, devant les Tuileries, un combat s'engage entre fédérés et gardes suisses. Ceux-ci laissent six cents des leurs sur le terrain. Sur ces entrefaites la famille royale est enfermée dans la prison du Temple. Le Roi est démis de ses fonctions. La Monarchie a vécu. La Commune grandie par sa victoire militaire peut désormais partager le pouvoir avec la Législative étrangement absente lors des derniers événements (2ème révolution). Les réquisitions, recherches de suspects et arrestations sont désormais organisées par la Commune. Aux frontières, l'ennemi progresse : Lille puis Verdun tombent. Lafayette a fait défection. A Paris, la rumeur d'un complot ourdi par les détenus et les Autrichiens se répand rapidement. Furieuse, la populace se précipite dans les prisons et massacre un millier de détenus entre le 2 et le 4 septembre l792. Enfin, le 20 septembre sur les hauteurs de Valmy, Kellerman et ses volontaires stoppent les Prussiens qui quittent alors le territoire français. Les territoires perdus sont reconquis et la menace extérieure disparaît. La politique intérieure monopolise alors les débats. Elue au suffrage universel, la Convention se réunit pour la première fois le 21 septembre 1792 et donne naissance à la République. La Convention est partagée en deux mouvements : les Girondins menés par Brissot et les Montagnards dans les rangs desquels se trouvent Marat, Robespierre, Desmoulins et Danton. Entre ces deux courants se trouvent les députés de la Plaine dont les votes iront tour à tour à l'un ou l'autre des deux partis. Dans un premier temps la Gironde domine politiquement et le sort du Roi anime les débats. En novembre un jeune homme nommé Saint Just déclare à la tribune : "Tout roy est un rebelle ou un usurpateur (...) cet homme doit régner ou mourir." Le procès de Louis XVI a lieu en décembre. Le Monarque déchu est condamné puis exécuté le 21 janvier 1793. Apprenant la nouvelle et craignant une propagation de la Révolution française à tous les états d'Europe, l'Angleterre mène une nouvelle coalition contre la France. La Convention ordonne la mobilisation de 300 000 hommes. Cette mesure impopulaire et la mort du Roi déclenchent des révoltes en Bretagne et en Vendée. Pour rétablir l'ordre public, Marat réclame 100 000 têtes. Et iI aura son bain de sang : le 13 juillet une royaliste le poignarde dans sa baignoire. A partir du 6 octobre, le calendrier républicain est appliqué (15 vendémiaire an II de la République). Marie Antoinette est promptement jugée et guillotinée le 16 octobre. Les armées étrangères envahissent une nouvelle fois le territoire. Les Espagnols franchissent les Pyrénées, Valenciennes est prise par les troupes Autrichiennes, Toulon se rend aux Anglais. Sous la pression des enragés de la rue menés par Hébert, la Convention met la "Terreur à l'ordre du jour" et créé le comité de salut public fort de douze membres dont Robespierre et Saint Just. Les Girondins sont tous jugés et exécutés. Les Hébertistes imposent la fermeture des églises utilisées par les prêtres constitutionnels. Face à tant d'extrémisme, Robespierre appuyé par Danton réagit. Il parvient à faire juger les Hébertistes pendant l'hiver. Ceux-ci sont exécutés en mars 1794. Robespierre et Saint Just éliminent ensuite les Dantonistes qui sont jugés, condamnés et guillotinés le 5 avril. Le 26 juin la victoire de Fleurus sur les Autrichiens et les Hollandais permet la reconquête des territoires occupés. La Terreur devient impopulaire, Robespierre et Saint Just sont arrêtés puis libérés par une insurrection de la Commune de Paris. Mais cette fois-là les sections parisiennes ne se mobilisent pas pour soutenir la révolte. Robespierre et Saint Just sont repris et exécutés sans jugement le 28 juillet 94, au titre de hors la loi. C'est la fin de la Terreur qui en dix mois a fait tomber 16 594 têtes. La France peut enfin respirer. En Vendée, l'initiative était enfin dans le camp républicain, mais cette guerre fratricide durera encore quelques années et fera 400 000 morts.


Le couvent des Chartreux, histoire et légendes

Sous les premiers Capétiens, le sud du jardin du Luxembourg était planté de vignes. La faible déclivité du terrain lui conférait le nom de Val Vert qui fut plus tard déformé en Vauvert. Au Xe siècle, le Roi Robert II épousa Berthe fille de Conrad duc de Bourgogne. La Reine était parente du roi au quatrième degré si bien que le pape Grégoire V les excommunia et jeta l'interdit sur le royaume. Mais le Roi ne voulut pas céder. En cette période de foi ardente les foudres pontificales impressionnaient fortement le peuple. Alors un concert de lamentations s'éleva dans l'entourage du Souverain qui, pour avoir ta tranquillité, fit construire un manoir hors de Paris au lieu dit Val Vert où il s'établit. Pourtant, il n'occupa cette demeure qu'un court laps de temps avant de se retirer à Melun. De guerre lasse il répudia sa femme et s'éteignit en 1031. Le château Vauvert fut voué à l'abandon. Construit par un excommunié, il fut le lieu de toutes les maléfices. Le diable y avait dit-on élu domicile et personne n'approchait ces lieux maudits. Dans le sud de la France, Saint Bruno et ses disciples fondèrent l'ordre des Chartreux vers 1086. S'étant fait conter l'histoire de cet ordre St Louis décida de faire venir des religieux de cette congrégation à Paris. Ainsi Jean de Josserand du Diocèse de Valence arriva à la capitale avec quatre religieux en 1257. D'abord installés à Gentilly, les pères demandèrent à occuper le château de Vauvert en 1258. Jean et sept frères "vinrent sans crainte aucune et entrèrent dans la maison de Vauvert le jour de St Colombin abbé, 21 novembre de l'an 1258, où ils furent trois jours et trois nuits continuellement en prières, faisant procession par ledit hôtel et priant notre seigneur que, par l'intercession de la Benoiste Mère, luy plust d'icelui lieu chasser tous les mauvais esprits". Puis, les Chartreux s'employèrent activement à la réfection du manoir. En 1260, la chapelle étant trop exiguë, il fut décidé de construire une église. Pour cela, les pères firent ouvrir deux carrières de pierre à bâtir à l'intérieur de l'enclos. L'église ne fut définitivement achevée qu'en 1325. A la fin du XIVe le couvent possédait deux cloîtres et de multiples dépendances. Pendant cinq siècles, ils ont bénéficié des faveurs des souverains. A la veille de la Révolution c'était un des plus riches couvents de la capitale. II possédait des vergers, des pépinières, des jardins, des vignes et un moulin à vent. Lorsqu'éclata la Révolution, 31 religieux vivaient au sein du couvent. Sur ordre de l'Assemblée Nationale le prieur Félix-Prosper le Monant fit l'inventaire des revenus qui s'élevaient à 152 471 livres. Le couvent fut fermé en 1790. Le 6 juin 1792 tous les biens de valeurs furent enlevés. Le citoyen Barthélémy établit une fabrique de poudre dans les locaux désaffectés. A cet endroit furent notamment fondus les canons qui servirent à la bataille d'Austerlitz. Puis la Convention transféra le siège du gouvernement au palais du Luxembourg. Pour agrandir les jardins, la partie nord de l'enclos fut détruite. Puis des rue furent percées sur la partie sud du couvent. Si bien que maintenant, seuls subsistent les souterrains situés sous l'école des Mines et la faculté de pharmacie, vestiges des carrières creusées au XIIIe siècle.


Le Val-de-Grâce des origines à la Révolution

Les origines du V.D.G. se perdent dans les légendes. Ainsi d'après les déclarations de Baudens, chirurgien en chef et premier professeur de l'hôpital militaire de perfectionnement du Val-de-Grâce, les origines remonteraient aux rois Francs, voire même à l'antiquité. Une crypte aurait été découverte à l'emplacement de l'amphithéâtre de chimie (actuelle bibliothèque centrale du service de santé) aile nord des bâtiments donnant sur la cour Broussais. Toujours d'après Baudens, cette crypte faisait partie de la demeure d'un général romain dont les troupes avaient établi un camp retranché sur l'actuel jardin du Luxembourg. Malheureusement aucun document ne confirme ces affirmations. Charles de Valois fils du roi Philippe III dit le Hardi, acquit, au milieu du XIIIe, une propriété dans le Faubourg St Jacques. Pendant près d'un siècle, cette demeure resta aux mains des Valois. La propriété passa aux mains des Bourbon à la fin du XIVe. Louise de Savoie obtint de son fils François Ier la cession de l'hôtel dit du Petit Bourbon pour l'offrir à son médecin personnel Jean Chappelin. Ce qui marqua la première occupation de l'endroit par le corps médical en 1527. Ln fondation de l'édifice actuel date du XVIIe. Toujours selon la légende : "Henri de Navarre s'étant approché de Paris à la faveur d'un épais brouillard le ler novembre 1589, surprit le Faubourg St Jacques et fatigué reposa quelques heures sur un lit de paille fraîche dans une salle du Petit Bourbon. Ainsi le premier combattant de l'armée française inaugurait sans le savoir le premier hôpital militaire". Anne d'Autriche mariée à l'age de 14 ans à Louis XIII, n'avait pas à se louer de son mari qui lui préférait le chasse et autres activités sportives. De plus le Roi lui reprochait de ne pas lui donner d'héritier. Ainsi la Reine trouvait dans la religion un moyen d'échapper à sa vie monotone. Anne d'Autriche délaissée s'était liée d'amitié avec une religieuse de Montmartre pour laquelle elle obtint la crosse abbatiale de "Notre Dame du Val-de-Grâce". La bénédiction eut lieu le 21 mars 1619 dans l'église des Carmélites du Faubourg St Jacques. Comme les locaux menaçaient ruine, la Reine fit transférer la communauté dans les locaux du Petit Bourbon acheté pour la somme de 36 000 livres. Le 20 octobre 1621, le Vicaire Général de l'Evêque de Paris bénit l'abbaye qui portait désormais le nom du "Val-de-Grâce de Notre Dame de la Crèche". Disposant de peu de ressources, la Reine ne fit adjoindre qu'un cloître et quelques autres dépendances aux bâtiments du Petit Bourbon. Elle séjournait d l'abbaye aussi souvent que possible pour échapper à sa triste vie. Là, elle fit le vœu d'élever à Dieu un magnifique temple si celui-ci lui donnait un fils. En 1638, Anne d'Autriche donna un héritier au Roi qui mourut cinq ans plus tard. Devenue régente du Royaume, Anne d'Autriche appuyée par son premier ministre Mazarin allait s'employer à la réalisation d'une belle abbaye. Plusieurs architectes furent consultés pour la réalisation du nouveau Val-de-Grâce. Le projet de Mansart fut retenu. Le chantier débuta le ler avril 1645 comme l'écrit la Gazette de France du 8 avril : "Le premier de ce mois, la Reine ayant été faire ses dévotions à Notre Dame, alla au Val-de-Grâce où le Roi se rendit sur les deux heures de l'après-midi, et mit la première pierre du Bâtiment qu'elle fait faire en cette église dont elle est fondatrice, en présence de la Reine, de Mademoiselle, de la Princesse de Condé et autres princesses et grands de cette cour, qui ne pouvaient assez admirer la gentillesse et la bonne grâce du Roi en toutes ses actions. La cérémonie fut faite par notre archevêque, assisté de plusieurs ecclésiastiques et de la musique du roi." Les fondations de l'église furent difficiles à construire, le terrain se trouvant dans une zone sous-minée. Les consolidations des carrières souterraines engloutirent 275 000 livres. Sous prétexte de ces dépenses excessives, Mansart fut congédié (*). Le Mercier prit alors la direction des travaux. Le chantier fut interrompu de 1648 à 1655 pendant les événements de le Fronde. Puis Le Muet reprit lesdits travaux pour les achever en 1667. Anne d'Autriche ne vit pas son œuvre parachevée car elle mourut en 1665. Le consécration de l'église eut lieu en 1710. La vie monastique se déroula sans histoires jusqu'à la Révolution. Suite à la nationalisation des biens de l'Eglise en 1790, les religieuses quittèrent l'abbaye. Par le décret du 31 juillet 1793 la Convention transforma le V.D.G. en hôpital militaire. Les lieux déserts depuis trois ans furent réoccupés. Tous les insignes royaux les armes d'Anne d'Autriche furent détruits. En 1807 la rue d'Ulm fut percée à travers les jardins du Val-de-Grâce. L'église ne fut rendue ou culte qu'en 1827. Aujourd'hui le V.D.G. demeure la propriété de l'Armée.

 

En l'an 1793, la zone comprise entre le Val-de-Grâce et le Luxembourg était proprement inextricable. Peu de consolidations - donc peu de repères - alors que le réseau était trois fois plus dense qu'actuellement. Dans cet univers de piliers à bras, de hagues et de bourrages, le périple de Philibert fait figure d'exploit. Car sans plans, il parvint si près du but : il périt à quelques mètres seulement du sous-sol du couvent des Chartreux et de ses tonneaux… vides. En effet après la loi du 2 novembre 1790, les révolutionnaires avaient depuis bien longtemps "nationalisé" les vins et spiritueux de l'Eglise avec un zèle tout particulier.

 

(*) Ironie du sort, les restes de Mansart reposent maintenant dans les Catacombes.

 

 


Paris souterrain