Le seul endroit où il fasse frais

UNE VISITE AUX CATACOMBES

Les "graffiti" parisiens

Vous recherchez la fraîcheur! Descendez aux Catacombes.
C'est une des curiosités de Paris. Presque tous les Parisiens l'ignorent. L'accès en est malaisé. On va plus couramment du boulevard à Trouville que du boulevard au Lion de Belfort. Et puis on ne descend pas tous les jours aux Catacombes ; l'administration qui les conserve n'y donne accès qu'une à deux fois par mois.
A cette époque de l'année, l'incursion est charmante. Vous arrivez à l'heure de midi sur le boulevard Denfert-Rochereau. Devant une grille fermée, déjà 60 ou 100 personnes attendent. Leur nombre augmente au fur et à mesure que l'heure avance.
Une heure se passe. La grille s'ouvre enfin et, se pressant, se bousculant, la foule se jette dans la cour, au fond de laquelle, dans la pleine lumière blanche, éclatante, un sergent de ville, un peu gêné, tient devant lui une petite lampe, dont on ne distingue pas la flamme, dans ce plein jour et qui est cependant allumée.
En passant devant le sergent de ville qui garde le feu, chaque personne doit allumer la bougie qu'elle apporte. Et puis l'on descend à la file, un à un, serrés les uns contre les autres.
On descend longtemps entre deux murs étroits. Et, quand on est au fond, commence cette marche qui sans arrêt, ou presque, doit durer une heure et demie. Il fait de plus en plus froid. Une eau glacée suinte de la voûte des murs.
On ne voit rien, que la file zigzagante des petites flammes jaunes des bougies en avant. Pas d'autre distraction que les propos qu'autour de vous on échange. L'un parle des martyrs à propos des catacombes. A dix rangs en arrière, un informé proteste, explique quel les martyrs n'ont rien à voir avec les catacombes de Paris. Et ce sont des invectives... Pour rompre la monotonie du voyage, on peut aussi déchiffrer les noms, les signatures, inscriptions, déclarations et autres <<graffiti >> que des hommes innombrables, et des femmes aussi, désiraient laisser, ne fût-ce qu'aux Catacombes, un souvenir d'eux-mêmes, ont tracé sur ces murs au passage. Je distingue : Kufka de Copenhague ; Louise et Henri, pour toujours, etc..., et d'autres plus explicites ; et celle-ci, qu'on devine sincère : Chichette voudrait bien être sortie d'ici.
Et l'on marche toujours. Une certaine angoisse naît.
Enfin, on entend un cri de surprise en avant. La tête de la colonne débouche dans les galeries plus larges, aux renfoncements desquels on a rangé méthodiquement, << artistiquement >>, les crânes, les fémurs, les tibias... Il y en a..., il y en a... Il y en aura jusqu'au bout, désormais, et de haut en bas. Le premier mouvement de surprise passé, nous autres Français, nous sommes tout de suite familiers.
Y'a p't'être un de nos arrières grand-pères là-dedans ! dit quelqu'un.
Eh bien ! cherche ! lui répond-on : tu trouveras bien l'air de famille !
Une dame au bras d'un gros monsieur, montrant les crânes qui s'entassent :
Comme il se ressemblent !
L'un fait remarquer que beaucoup ont encore leurs dents. Une femme triomphe parce qu'elle a aperçu au sommet d'un tas un ???
L'administration, consolatrice, a fait sceller de distance en distance des plaques portant des inscriptions de circonstance :
Beati qui moriunt in Domine Canet tuba et motui resurgent Mihi, mori lucrum. Et la traduction est en dessous.
La mort est un bien ! déchiffre une voix.
Très peu pour moi ! s'exclame une autre.
On s'arrête un moment, on se presse autour d'un monument funéraire. Sur la plaque de marbre on lit cette inscription :

A LA MEMOIRE DE
FRANCOISE GILLON
DAME LEGROS
COURONNEE PAR L'ACADEMIE FRANCAISE

CI-REPOSE
LA FEMME ADMIRABLE
QUI DE LATUDE ENFIN
FIT OUVRIR LES CACHOTS

Qui c'est Latude ? demande le fils à son père.
Latude !... Latude!... Un grand brigand, qui... que...
Alors pourquoi, dis papa, que l'Académie a couronné la dame ?
...
Et l'on marche toujours. On est tout à fait transi. Une dame frissonne...
Et la sortie, la remontée au jour, au grand jour, au grand jour brûlant et chaud, se fait, au gré de tous, trop lentement, par un escalier trop étroit.
On sort... On débouche dans une rue inconnue, dans un quartier lointain qu'on ne reconnait pas. On marche. On arrive sur une avenue, et, voulant aller vers l'Odéon, on monte dans le tram qui file vers Châtenay. On a laissé aux Catabombes le sens de la direction.

 


Dossier de presse