Dès 1919, Clémenceau évoque la nécessité de fortifier les frontières de la France au Maréchal Pétain alors commandant en chef des armées françaises. Pendant plusieurs années, les études se succèdent, les avis sont partagés au sein du gouvernement et de l'armée. Paul Painlevé ministre de la guerre de 1925 à 1929 oriente la politique de défense vers une stratégie purement défensive et nomme une commission, la Commission de Défense des Frontières (CDF) chargée d'étudier les possibilités de défendre les frontières. Le successeur de Painlevé, André Maginot, appuie la loi relative à l'organisation de la défense des frontières.
Génèse & construction
En 1930, le Sénat vote la "loi Maginot" qui permet l'attribution de
2,9 milliards de francs à la construction de fortifications établies le long
de la frontière avec l'Allemagne d'une part et l'Italie d'autre part. Les crédits
ne représentent que 5 à 6 % du budget annuel de l'armée et sont dérisoires par
rapport aux sommes qu'il faudrait engager pour mécaniser l'armée de terre par
exemple. Près de la moitié des crédits sont consacrés à la défense de la Lorraine,
clé de voûte du système défensif, alors que seulement 50 millions sont accordés
à la défense du nord de la France. La Commission d'Organisation des Régions
Fortifiées (CORF) créée en 1927, est chargée de déterminer les
emplacements et de réaliser les plans des ouvrages tandis que le Génie supervise
les chantiers. Les projets arrêtés en 1929 pendant une période économiquement
faste sont très ambitieux. Des fortifications établies sur une profondeur
de 0,5 km à 1,5 km doivent créer une ligne de feu ininterrompue
de Montmédy à la frontière Suisse et de la frontière
Suisse à la Méditerranée. L'ossature de la ligne est composée
de puissants ouvrages d'artillerie construits tous les 6 km et pouvant à tout
moment effectuer des tirs en vue de stopper toute pénétration ennemie. Dans
les intervalles, de petits ouvrages dotés d'armes d'infanterie (mitrailleuses,
canons de petits calibres), ainsi que des casemates de mitrailleuses isolées
assurent la continuité de la ligne de feu. Le dispositif est renforcé
par des réseaux de tranchées, des abris et des obstacles antipersonnels ou antichars.
Un ouvrage ou un blockhaus peut, en cas d'attaque ennemie être appuyé
par l'artillerie de 4 gros ouvrages (2 à droite, 2 à gauche).
Les parties vives des ouvrages d'artillerie et des petits ouvrages (casernements,
postes de commendement, soutes à munitions) sont profondément enterrées dans
le sol. Seuls émergent les blocs de combat garnis de mitrailleuses, canons et
mortiers, sous casemate et sous coupole rétractable. En arrière de la
ligne de défense au niveau de l'entrée des ouvrages, des abris
bétonnés de surface ou souterrains peuvent abriter les sections
d'infanterie affectées à la défense des intervalles.
Les travaux sont découpés en deux tranches distinctes, la réalisation de la deuxième tranche étant tributaire de l'attribution de nouveaux budgets. La plupart des travaux, confiés à des entreprises civiles débutent dès 1929. Mais un contexte de crise économique aidant, les dépassements de crédits des ouvrages en cours de construction entraînent de nombreux ajournements dans les projets initiaux. De nombreuses constructions prévues lors de la première tranche sont ajoutées à la deuxième tranche de travaux qui ne sera jamais réalisée. Ainsi la modèle de défense proposé par la Commission ou "front CORF" ne sera appliqué que dans trois régions fortifiées : Metz, la Lauter et la Haute Alsace. La région fortifiée de Metz est la plus puissante, elle est composée de 11 ouvrages d'artillerie et de 7 ouvrages d'infanterie sur une longueur de 44 km. Le système fortifié est plus faible dans les autres secteurs. A l'instar de la forêt d'Ardenne réputée infranchissable, le nord et le Rhin sont seulement dotés de fortifications équipées d'armes légères, et dépourvues d'artillerie.
Si la faiblesse des défenses de la ligne Maginot le long de la frontière belge est la conséquence de la révision à la baisse des projets de fortifications initiaux, elle est aussi justifiée par la stratégie défensive de la France. En effet, la Belgique pays allié, possède des fortifications établies le long du canal Albert comme le fort Eben-Emaël. De plus, en cas de conflit avec l'Allemagne, l'état major français prévoit de déployer préventivement en Belgique ses meilleures forces mécanisées (l'aile mobile du dispositif français). L'importance des fortifications le long de cette frontière franco-allemande (aile fixe du dispositif français) devrait dissuader toute attaque de l'adversaire à travers celle-ci. Les Allemands seraient contraints de contourner la ligne en passant soit par la Belgique soit par la Suisse. Le relief de la Suisse se prétant mal aux invasions, seule l'hypothèse de l'invasion de la Belgique est retenue. L'affrontement décisif d'un conflit futur entre la France et l'Allemagne se déroulerait en Belgique, mettant ainsi le territoire français à l'abri des destructions...
Dans les Alpes, le contexte est différent. La frontière avec l'Italie n'a pas varié depuis la fin du XIXe siècle. De nombreuses fortifications existent déjà le long de cette frontière. Celles-ci sont réutilisées, modernisées et intégrées à la ligne des Alpes. L'ajout d'ouvrages d'artillerie et d'infanterie permet de renforcer l'existant. Là-bas le relief formé de massifs infranchissables se prête naturellement à la défense et les fortifications ne sont pas aussi denses que dans le nord est. Les défenses sont surtout localisées autour des points de passage praticables par une armée d'invasion et au sud du dispositif sur la partie côtière plus perméable. En effet, depuis l'arrivée au pouvoir de Mussolini en 1922, le sud de la France n'est plus à l'abri d'une invasion italienne.
Des unités spéciales sont créées pour former "l'équipage" des ouvrages de la ligne Maginot : les troupes de forteresse. Celles-ci possèdent des uniformes et des attributs spéciaux. Plusieurs régiments de forteresse sont permanents, ils doivent pouvoir contrer toute attaque surprise de la part de l'Allemagne. En cas de mobilisation, grace à l'afflux de réservistes, ces régiments se scindent en 2 voire 3 régiments et peuvent compléter les effectifs des ouvrages et des troupes d'intervalles qui assurent l'occupation du terrain situé entre les forts. Les troupes de forteresse proviennent de plusieurs armes : de l'infanterie pour les régiments d'infanterie de forteresse (RIF), de l'artillerie pour les régiments d'artillerie de position (RAP) et de l'arme du génie. Dans un ouvrage, le génie prend en charge l'électricité, la mécanique et les transmissions. Dans les Alpes, 7 bataillons alpins de forteresse (BAF) assurent aux côtés des régiments du génie et d'artillerie de position la défense des fortifications. Chacun de ces BAF est doté d'une section d'éclaireurs skieurs (SES). La ligne, doit permettre à la France, en cas de conflit avec l'Allemagne d'achever de mobiliser tous ses réservistes sans craindre une invasion soudaine de son territoire à travers la frontière allemande ou italienne. Mais le contexte géo-politique évolue rapidement...
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La drôle de guerre
La mobilisation générale prend effet le 3 septembre 1939, mais de nombreux ouvrages sont déjà parés au combat depuis la fin du mois d'août. La propagande s'empare de la ligne fortifiée pour en faire un rempart inexpugnable devant lequel viendront se briser tous les assauts ennemis, entretenant ainsi chez la population civile, un faux sentiment de sécurité. Dès la déclaration de guerre, les troupes françaises sont dans l'expectative. Pendant 8 mois, il ne se passe rien, sinon le tir de quelques salves d'artillerie sur le territoire allemand tout proche pour "intimider" l'adversaire. Seule initiative du haut commandement français, l'invasion de la Sarre pour honorer son accord de soutien militaire à la Pologne envahie par les Allemands. Cette offensive victorieuse effectue une progression symbolique de 10 km dans la Sarre évacuée par les Allemands avant de se replier "mission accomplie". Malgré l'attentisme de l'état major, la volonté d'en découdre anime les équipages, qui mettent sur pied des corps francs effectuant de nuit des patrouilles offensives dans le no man's land qui s'étend entre les avant postes-français et la ligne Siegfried l'équivalent allemand de la ligne Maginot. La création d'un second front à l'ouest, hantise du haut commandement allemand, alors que la majorité de ses forces opère en Pologne, ne se réalisera pas en raison de l'attitude peu combative du commandement français. La question polonaise est réglée fin septembre. Les Allemands réorganisent leurs troupes et les déploient le long de la frontière ouest. Le 10 mai 40, ils envahissent la Hollande et la Belgique. Le corps expéditionnaire anglais et les meilleures unités françaises volent au secours de l'armée belge. |
L'invasion
Le plan allemand fonctionne à la perfection et le 13 mai 40 les panzers pénètrent en France par les Ardennes et bousculent les troupes françaises. Les blindés allemands effectuent ensuite un mouvement tournant direction la mer du nord et foncent vers Boulogne et Calais. Cet encerclement met hors de combat l'élite des forces françaises et tout le corps expéditionnaire britannique (l) qui s'étaient imprudemment avancés en Belgique.
Le 15 juin, profitant de la situation, l'infanterie allemande effectue une percée par la trouée de la Sarre effectuant sa jonction avec les troupes ayant pénétré sur le territoire français par Sedan un mois plus tôt. Les troupes allemandes occupent alors les arrières de la ligne, coupant tout itinéraire de retraite. Les équipages se trouvent encerclés. Seuls, livrés à eux-mêmes, ils se préparent au combat, prêts pour un baroud d'honneur. Les forts sont attaqués par leurs arrières. Bombardés
par l'artillerie lourde, des petits ouvrages dotés seulement d'armes
légères et non couverts par l'artillerie des gros ouvrages
capitulent comme le PO du Welschhof et celui du Haut-Poirier les 21 et
24 juin. Le petit ouvrage de la Ferté sera aussi occupé
à la suite de la mort accidentelle par asphyxie de tout son équipage.
Mais aucun ouvrage des fronts CORF ne capitule. |
La ligne des Alpes : On ne passe pas !
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Pendant la guerre, la ligne du nord-est est utilisée par les Allemands à des
fins diverses et variées : plate-forme de test d'explosifs nouveaux comme les
charges creuses, dépôts de munitions ou usines souterraines. A la libération,
les troupes allemandes se retranchent dans certains ouvrages pour retarder l'inexorable
avance alliée. Après la guerre, de 1954 à 1958, dans le cadre de l'OTAN,
l'armée française remet la plupart des ouvrages en état de fonctionnement, ils
seront opérationnels jusque dans les années 60 et seront définitivement abandonnés
dans les années 70. La ligne Maginot fut un excellent instrument de combat alliant
puissance de feu et protection, tout en mobilisant un minimum d'effectifs. Cette
arme fut mal utilisée par le haut commandement français, qui y concentrait une
trentaine de divisions l'arme au pied alors que des secteurs étaient dégarnis
comme l'Ardenne.
Les troupes de forteresse prouvèrent cependant leur valeur en juin 40, mais la situation était déjà sans issue...
(1) La plupart des troupes encerclées pourront rembarquer à Dunkerque, mais
tout le matériel lourd sera perdu.
(2) En dépit des conventions de Genève qui stipulent que les troupes
invaincues ne peuvent être emmenées en captivité.